La création d’un Service Public de l’Enseignement Numérique montre la volonté de l’Education Nationale de réformer son fonctionnement et d’orienter les élèves vers les pratiques numériques du 21e siècle. Cependant, de nombreux risques subsistent quant à la numérisation des bases de données de l’Education Nationale.
Avec les récentes dérives révélées au cours de l’été par l’affaire Snowden, il est indéniable que les données personnelles ne peuvent plus être protégées à 100% et représentent un énorme marché potentiel pour les industriels de la filière du numérique. Et si l’on se place selon le prisme de l’enseignement numérique, le premier acteur des tablettes à intervenir est Apple avec son iPad. Or, l’utilisation des iCloud et autres applications éducatives développées par Apple permet le transfert de toutes les données sur des serveurs basés aux Etats-Unis et surtout protégés par le Patriot Act. La France ne serait donc plus maîtresse des données de ses propres élèves.
Or la détention des données personnelles des élèves peut entrainer des dérives : accès à tous les relevés de notes, « profiling » d’un élève en fonction de son livret scolaire etc… Dans ce cadre, la question à se poser est : comment la France peut-elle mettre en place une protection optimale des données des élèves ? Que manque-t-il à la France pour pouvoir sécuriser les données de ses élèves ?
Une industrie française des supports numériques inexistante ?
La première raison qui pourrait expliquer l’inaction française est l’absence d’une industrie nationale des supports numériques. Cela justifierait l’orientation du choix de l’Education Nationale vers les iPad d’Apple.
Or plusieurs groupes industriels français se sont positionnés sur le marché des tablettes numériques avec un succès certain. On peut citer Archos ou encore Unowhy, qui tout récemment a pénétré le marché américain avec son produit phare, QOOQ (tablette culinaire), par le truchement d’Oprah Winfrey (célèbre présentatrice américaine suivie par près de 22 millions de téléspectateurs). Aujourd’hui, la tablette QOOQ est en rupture de stock. Unowhy développe également un programme de tablette numérique éducative.
Il s’agit là d’un double enjeu : il se situe d’abord au niveau des données personnelles des élèves peu protégées, mais aussi au niveau du redressement industriel français qui pourrait être accéléré par le soutien d’entreprises françaises. Mais aujourd’hui, c’est l’inverse qui semble se produire au détriment de notre filière numérique.
Des clouds de données inexistants ?
Si ce n’est pas notre industrie qui est en cause, peut être que l’existence de clouds sécurisés fait défaut. Là encore, la France a les outils nécessaires. Effectivement, l’Etat a même investi 75 millions € dans la création de deux clouds souverains :
- Numergy : développé par SFR et Bull
- Cloudwatt : développé par Orange et Thalès (en collaboration avec la Caisse des Dépôts)
Cela signifie que la France a saisi l’intérêt stratégique qu’elle avait à développer des clouds souverains lui permettant de contrôler les flux de données qu’elle stocke au lieu de subir la réglementation d’un Cloud étranger. La question qui se pose alors est pourquoi ces clouds ne sont pas étendus au domaine de l’éducation.
Que manque-t-il alors ?
Si les conditions requises à l’établissement d’une éducation numérique souveraine existent, que manque-t-il à son établissement concret ?
En vérité il manque à l’heure actuelle deux choses. Premièrement, la classe politique n’est pour l’instant pas totalement investie dans le sujet. Malgré la création du Service Public de l’Enseignement Numérique, la France apparaît encore frileuse sur le sujet (23ème sur 27 dans le classement OCDE des pays les plus avancés dans l’enseignement numérique). Deuxièmement, la classe politique n’a pas encore de vision stratégique à long terme des enjeux de l’éducation numérique. Confier ce sujet à des entreprises étrangères permettrait non seulement une fuite des données personnelles des élèves vers des serveurs non souverains, mais également une influence directe sur nos programmes scolaires. En prenant des tablettes préexistantes et en ne s’impliquant pas dans leur développement, nous risquons de devoir adapter nos programmes scolaires aux tablettes alors qu’en toute logique, c’est l’inverse qui devrait se produire.
Aujourd’hui, la France semble avoir tous les atouts en main pour faire un passage réussi à l’enseignement numérique. Encore faut-il le vouloir.
Cet article Quelles stratégies l’Etat français peut-il mettre en place pour protéger les données personnelles des élèves face aux menaces des acteurs privés ? est apparu en premier sur Mouvement de la jeunesse 3.0.