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L’éducation numérique française ou les risques d’un manque d’ambitions nationales.

« Ils voulaient aller vite, ils ont choisi l’efficacité1 ». C’est ce qu’a récemment déploré le président du Syntec numérique, Guy Mamou-Mani quant aux choix opérés par le gouvernement en matière d’éducation numérique. La rapidité a été la réponse au « retard de la France » en la matière que souligne régulièrement la ministre de l’enseignement supérieur, Geneviève Fioraso. Cette dernière a par conséquent, afin de palier à ce retard, lancé le 3 octobre le programme FUN pour France Université Numérique. Le programme est fondé sur le principe des MOOCs anglo-saxons, en français : cours massifs ouverts en ligne, mais dont la dénomination demeurera anglaise selon les volontés de la ministre.

Le moment est particulièrement choisi, contexte Prism et affaire Snowden oblige, pour lancer un tel programme, notamment lorsque la plateforme choisie pour mettre en place ce MOOC n’est autre que EdX, largement soutenue par… Google2. Est-il utile de préciser que ce géant des nouvelles technologies fait partie de la nomenklatura gravitant dans les sphères bienveillantes de la NSA ? Mais l’on pourrait également citer le choix des tablettes Apple dans certaines écoles.  Cela ne va pas sans aller dans le sens opposé des volontés de la CNIL de faire de « l’éducation au numérique une grande cause nationale »3. Si l’idée est louable, ne faudrait-il déjà pas commencer par choisir des outils appropriés avant de s’attaquer à un tel programme ? Les choix faits dans le cadre de FUN n’illustrent-ils pas un manque de cohérence entre les propos de la CNIL et ceux du gouvernement ?

Mais au-delà de ces contradictions, c’est le modèle d’une culture numérique française qui se trouve être mis de côté. Non seulement en termes de savoirs à proprement parler, mais également en termes d’emplois et de développement économique. Choisir Google et Apple, quid du patriotisme économique cher à certains.

Tout d’abord en termes économiques, le projet FUN, loin de se référer à l’idéologie originelle des MOOCs anglo-saxons sera une structure verticale dont l’INRIA a reçu pour mission de l’adapter à la France. Mais il n’est pas question pour le moment de se calquer sur une quelconque démarche innovante, fondée sur un vivier de start-ups pourtant bien présentes en France. Un MOOC à la française eut été possible, en témoigne le nombre impressionnant d’entreprises nationales spécialisées en la matière. D’ailleurs, le rapport concernant « la structuration de la filière du numérique éducatif » de Juillet 2013 fait état d’environ 270 entreprises établies en France et concernées par ce secteur. Le président du Syntec numérique semble d’ailleurs avoir fait part de ses inquiétudes à la ministre de l’enseignement supérieur qui, de contradictions en contradictions s’est voulue rassurante. Mais que faut-il attendre d’une ministre qui d’une part vante les bienfaits de l’innovation tandis que cette dernière se trouve stoppée net dans sa course par l’importation d’un programme étranger et dirigé verticalement par un institut national, ne donnant guère de place au maillage de PME pourtant compétentes en la matière ? Alors que l’Etat d’après ses propos « manque de vision industrielle à long terme » et que la solution pour y pallier serait de « réindustrialiser par l’innovation »5, il faut se demander comment cette solution peut-elle être ici appliquée. Cela permet de redresser la barre du retard technologique, mais de là à s’ancrer dans une démarche productive, une étape reste à franchir.

Par ailleurs, le problème se pose également quant aux choix faits des programmes et « applications » choisies dans le cadre du passage à une éducation numérique. A l’heure actuelle, les éditeurs semblent ainsi faire face à un « véritable pied de nez au made in France numérique »6, ce que constate le directeur de l’Association française des éditeurs des logiciels et solutions internet. Le risque d’un impact direct sur la culture française, véhiculée au travers de programmes conçus par des entreprises américaines, entre autres, est bien présent. Il peut paraitre surprenant d’avoir à faire à des programmes de français conçus par un éditeur anglo-saxon. Gilles Babinet insiste particulièrement sur cette dérive en déclarant « qu’après le contrôle des territoires et de l’économie, l’impérialisme [américain] va passer par le contrôle de la connaissance7. » Lorsque le Ministère de l’éducation nationale déplore «qu’il n’existe pas aujourd’hui en France de véritable filière industrielle du numérique éducatif clairement identifiée et économiquement puissante8 », il est surprenant de constater pourtant que des éditeurs tels que Belin offrent « tous leurs manuels scolaires […] en numérique »9, témoignage d’une activité bien vivante en la matière.

Il convient par conséquent de s’interroger sur les réelles ambitions que la France souhaite offrir à ses élèves en leur proposant un modèle importé concernant le socle de ce qui fera d’eux des citoyens, à savoir l’éducation.

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